SAISON 3 " Glacial "
Puanteur
" Borodino"
Illustration originale de Pierre Barjonet - Avril 2024 - 40/30 -
Sanguine et pierre noire.
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
" Ouverture solennelle 1812 - opus 49 " de Pyotr Ilyitch Tchaikovsky
Увертюра 1812 года
Tchaikovsky composa cette ouverture en septembre/novembre 1880
en commémoration de la retraite de Russie lors de la campagne de la Grande-Armée en 1812.
à écouter en lisant le poème
Conseils pour mieux suivre le déroulement de votre saga :
N'oubliez-pas de visiter la rubrique du sommaire
avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Puanteur
Serrées sur leur carriole encaissant les chemins
Meurtris de fondrières et gadoues stagnantes,
Les femmes font silence en craignant que demain
Ne leur réserve un sort de souffrances prégnantes.
Mais au détour d’un tertre apparaît la vision
De nuages de corbeaux se mariant aux collines,
De rapaces planant aux champs des divisions1,
De rongeurs et de loups rampant sous les berlines.
L’odeur insupportable empeste des charniers,
Décomposant chevaux et les restes de membres
Des malheureux puant où que vous vous tourniez,
Baignant de pluie mêlant leur sang depuis septembre2.
Face à Borodino1, Liouba vomit sa peur
Et tremble de frissons devant l’horrible scène,
Alors que Natacha traverse ces vapeurs
Stimulant leur cheval poissé de boues malsaines.
Joseph au grand galop, rattrape ce convoi
Pour le guider au creux de l’immonde Camarde3
Qui se réjouit encore en étouffant la voix
Des soldats égarés qu’aligne l’avant-garde.
Liouba l’apercevant ose un rire nerveux,
Puis saisit le mouchoir que Joseph lui présente
Et s’y plonge apaisée recouvrant ses cheveux,
S’enivrant de cette eau de Cologne4 apaisante.
Rose a repris les rênes souriant à Joseph,
Lui murmure un merci pour son aide galante
Et s’écarte bientôt des morbides reliefs
Faits de ces corps pourris en saignées déferlantes.
Le soir auprès des feux, les vivants sont fourbus,
Mais leur appétit non, dévorant leur tambouille,
Buvant à perdre souffle en trinquant aux barbus,
Au petit Caporal5, à ceux qu’on débarbouille.
Et les chansons s’en mêlent offrant aux tambours,
La parade des cœurs pour les belles de France.
Et les promesses fusent de s’aider toujours6
Sur ces terres vomies jusqu’à la délivrance.
Pierre Barjonet
Mars 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 3 « glacial », Poème 4 « Puanteur » (Mars 2024)
Au 28 octobre 1812, Napoléon parvient sur le site de la bataille de la Moskova (Borodino en russe). Le « spectacle » est effrayant, car des milliers de morts jalonnent le terrain, lui-même haché par les tirs d’artillerie, les charges de cavaliers, la lutte au corps à corps des fantassins et la rudesse des combats pour prendre et reprendre les redoutes en hauteur... Tous ces corps d’hommes tués, fracassés et mutilés donnant lieu à des « montagnes de membres » alors amputés par la bataille puis par les chirurgiens, pourrissent d’autant plus lentement que le froid vif qui règne alors les « conserve » ... Inutile de souligner la puanteur infecte de ces restes putrides dévorés en partie par des chiens errants, des loups et les rapaces. Le grand écrivain Russe Léon Tolstoï (1828/1910) a parfaitement décrit l'horreur de la bataille dans son ouvrage célèbre " La guerre et la paix " (ou " Guerre et paix ") écrit de 1864 à 1869, sachant que dans un premier temps il l'avait intitulé " 1805 " en référence à la bataille d'Austerlitz, mais que s'étant ensuite rendu sur le champ de bataille de Borodino, il en changea le titre...
Et soudain, apparaît un miraculé, un survivant, 52 jours après cette boucherie. Un grenadier ayant perdu ses deux jambes, qui réussit à survivre en se réfugiant dans la carcasse d’un cheval mort. Il s’en nourrit en le mangeant petit à petit et étancha sa soif dans une rivière couverte de cadavres... L’Empereur aussi surpris que consterné ordonna qu’on prît soin de ce malheureux en lui faisant une ambulance sur l’un de ses chariots. L’histoire montrera que pour lui, comme pour tant d’autres, ce ne fut qu’un bref sursis...
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Il s’agit là, des divisions ayant combattu sur le champ de bataille de la tragique confrontation de la Grande-Armée avec les armées russes de Koutousov à Borodino (pour les Russes) ou dite de la Moskova (pour les Français). Bataille gagnée par Napoléon, mais tragique par son bilan meurtrier : 6.562 morts et 21.450 blessés côté Français, pour 45.000 morts et blessés côté Russe.
2 La bataille de la Moskova s’était déroulée le 7 septembre 1812, à « l’aller » (rappelez-vous mon poème Moskova), et la retraite de la Grande-Armée y repasse près de 60 jours plus tard, le 28 octobre. Vainqueurs, les Français avaient pu retirer leurs blessés et enterrer en partie leurs morts, mais pas les Russes.
3 La Camarde désigne, en nom propre, la mort.
4 L’eau de Cologne était fort recherchée alors. Et Napoléon 1er s’en aspergeait généreusement quotidiennement. Il en utilisait de 30 à 40 flacons par mois, soit largement plus d’un par jour, habitude qui lui venait de la campagne d’Égypte ! On dit même qu’il en buvait quelques gouttes avant chaque bataille... Son fidèle serviteur et second valet de chambre, Ali (Louis Étienne Saint-Denis) qui l’accompagna à Sainte-Hélène, et qui faisait également fonction de bibliothécaire, copiste, secrétaire, intendant, transmit la composition de cette eau de Cologne réalisée sur place, avec les moyens du bord, en remplacement de celle qu’il utilisait en France, et dont l’absence d’importation lui pesait. Depuis 1819, cette eau a été réalisée en respect de la formule transmise par Ali et s’appelle « L’authentique eau de Cologne Napoléon 1erEmpereur ».
5 Le petit Caporal est un surnom donné à Napoléon 1er par ses hommes lorsque Premier Consul, il avait montré du courage contre les troupes autrichiennes durant la Campagne d’Italie à Lodi en 1796. Ainsi, les soldats avaient imaginé lui attribuer un nouveau grade à chacune de ses victoires, en commençant par le plus petit, celui de caporal. Mais ce fut celui-ci qui restera dans l’Histoire...
6 Déjà, les hommes redoutaient que l’esprit de corps et la solidarité ne s’altèrent que trop vite, au fil des événements...
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Photos tirées en partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.
Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français
Cartes de la bataille de la Moskova (pour les français)
ou de Borodino (pour les russes)
N.B. Voir mon poème " Moskova " (Saison 1)
La bataille...
Le feld-Maréchal Mikhaïl Koutouzov (1745/1813)
et l'Empereur Napoléon 1er (1769/1821) en face...
photo tirée du film " Guerre et paix " d'après Léon Tolstoï
et dédicace de son réalisateur russe Sergueï Bondartchouk
Le champ de bataille aujourd'hui...
Le musicien Pyotr Ilyitch Tchaikovsky,
qui composa l'ouverture solennelle " 1812 - opus 49 " en 1880
en commémoration de la retraite de Russie
lors de la campagne de la Grande-Armée en 1812.
Léon Tolstoï à 20 ans (1848) puis en 1897 et 1908 dans son bureau.
L'eau de Cologne favorite de Napoléon 1er
Hurrah !
" Les cosaques "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Mars 2024 - 40/30 -
Sanguine, fusain, pierre noire et crayons de couleur.
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
Chant populaire " Les braves cosaques du Don "
interprété par les choeurs de l'armée rouge (années 60)
à écouter en lisant le poème
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avec un "résumé" de l'épisode en cours :
ainsi que la rubrique chronologique :
Hurrah !
Il semble qu’un soupir se glisse dans la nuit
Couvrant les cliquetis rampant non loin des tentes,
Et se coule étouffé par le fiévreux ennui
Des femmes assoupies dans leur nerveuse attente.
Livreur grogne déjà tandis que Natacha
Qui, d’un bond s’est levée, réveille les dormeuses,
Répartit les poignards que son instinct cacha,
Alerte le piquet1 sans formule charmeuse.
Nicolas dont la troupe a rejoint leur bivouac
A compris sans un mot les signes de l’alarme.
Et tous de s’équiper en évitant les couacs
En un carré2 formé d’une muraille en armes.
Les chevaux sont nerveux et les feux recouverts.
Les grenadiers de garde ont camouflé les fosses3
Qu’ils avaient préparées, et que tous approuvèrent,
Élevant en bastion les chariots qui s’adossent.
Soudain Livreur bondit et fonce dans le bois,
Tandis qu’un cri poussé comme une plainte horrible
Hurle « Hurrah, Hurrah4 ! » dans le galop sournois
De chevaux voltigeurs5 se rendant invisibles.
À l’abri des fourgons, les femmes et civils
Déchirent les cartouches et tassent la poudre6,
Chargent les lourds fusils en se rendant utiles,
Car la ligne de feu7 ne saurait se dissoudre.
Les cosaques8 surpris sont fauchés de plein fouet
Et chutent dans les fosses en brisant leurs lances.
Nicolas lève alors son tambour comme un jouet,
Et frappe fort la charge en furieuse insolence.
La brume et la fumée brassent leur nuage gris
Coiffant d’espoir Liouba, Rose et les demoiselles
Dont la survie dépend de l’ardent feu nourri
Servi comme un festin si gras9 qu’il vous muselle.
Les « Hurrah » se sont tus dans le sang qui les noie
Et l’odeur du décor déferle en mille miasmes.
Comme après la tempête épongeant leurs minois,
Les belles se consolent en bruissant de spasmes.
Pierre Barjonet
Mars 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 3 « glacial », Poème 3 « Hurrah ! » (Mars 2024)
Poursuivant sa route du retour, désabusé malgré sa victoire contre les Russes à Kalouga pour la prise de Maloïaroslavets conduite par Eugène de Beauharnais, Napoléon qui vient de choisir malgré lui d’abandonner la route du sud, reprend celle de l’ouest à contrecœur. D’autant que, s’il est victorieux, il n’en a pas moins perdu 5.000 hommes (6.000 pour les Russes) et 7 généraux ! Comme il le dira à Caulaincourt : « Je bats toujours les Russes, mais cela ne termine rien ! ». Ce qu’il ne sait pas, c’est que Koutousov vient d’ordonner au grand dam de ses généraux, d’abandonner le « verrou de Maloiaroslavetz » défendu par une forêt impénétrable, pour se replier plus au sud.
Le 25 octobre, le lendemain de cette bataille est célèbre, car l’Empereur manqua de peu d’être capturé par des cosaques ! En effet, levé dès 4 heures le matin du 25 octobre 1812, il partit chevaucher en observation du terrain pour vérifier par lui-même si l’armée de Koutousov avait fait retraite, seulement suivi par les quelques cavaliers de sa garde rapprochée (des lanciers polonais) et quelques officiers de son État-major. Mais c’est stupéfait qu’aux cris de Hurrah ! il découvre qu’il est encerclé par des cosaques. Les 6.000 cosaques du général Hetman Platov. Dès lors, aidé par Rapp, Caulaincourt et Berthier ainsi que par les quelques hommes du piquet, ayant tous dégainé leur épée, ils parviennent à se sortir de ce guêpier, tandis que les escadrons de service de la Garde viennent à leur secours. Ce combat de Gorodnia fit tout de même 15 tués et 7 blessés auprès de l’empereur. Plus tard, il s’en amusera. Et pourtant, Platov avait promis sa fille en mariage à celui qui le capturerait !
Dès le lendemain, il confirmera la route de Smolensk, déjà dévastée à l’aller...
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Le piquet est en langage militaire, la constitution d’une petite unité de soldats gardant un bâtiment ou une zone, ou bien encore capable d’intervenir rapidement.
2 Le carré est une formation défensive militaire héritée des Romains et employée par l’infanterie pour se protéger des charges de la cavalerie (impossible à franchir sans encombre).
3 Les fosses sont des sortes de tranchées munies de pieux, ensuite masquées à la vue par un camouflage afin d’y faire chuter fantassins et cavaliers.
« Hurrah ! » Le fameux cri de guerre de nombreuses armées, prenant ici également l’usage d’un cri d’honneur employé trois fois par les Russes et plus particulièrement les cosaques.
5 Les petits chevaux des cosaques étaient par eux, considérés comme de véritables membres de leur famille. Ils les soignaient, les chouchoutaient et lorsqu’ils ne faisaient pas la guerre, les employaient aux travaux des champs. Ces petits chevaux très robustes et se nourrissant de peu, infatigables et sobres, rapides et polyvalents, proviennent des steppes nordiques descendant des poneys de Mongolie. Attila à la tête des Huns les utilisait déjà. Ils devinrent par la suite les chevaux du haras du Don sous l’impulsion du fameux général ataman* Matveï Platov (1753/1818) qui combattit Napoléon avec ses 60.000 cosaques montés sur les chevaux du Don, particulièrement adaptés au rude climat de Russie. * Un ataman était un chef guerrier cosaque.
6 Charger son fusil sous le 1er empire n’était pas une sinécure. D’abord, il pesait lourd, 4kg375 pour 1m52 avec un gros calibre (diamètre de la balle) de 17,5mm (par rapport aux armes modernes de 5,56 pour le Famas ou de 7,62). Ensuite, il fallait exécuter avec précision une manœuvre assez longue pour le charger, d’où l’organisation d’une « ligne » sur trois rangs : le premier rang tire suivi par le deuxième tandis que le troisième et selon le cas, avec le deuxième, s’activent à recharger les armes. Il fallait ouvrir le bassinet, déchirer la cartouche de papier dur avec ses dents, remplir de poudre le bassinet, le refermer, puis verser le reste de poudre dans le canon. Ensuite, l’on retirait la baguette parallèle au canon du fusil pour bourrer à deux reprises la poudre du canon, puis introduire toujours dans le canon la balle de plomb (de 1,75 cm !). On replaçait la baguette dans son fourreau. Enfin, le tireur armait (reculait) le chien muni d’un silex (à changer après cinquante coups). Les gibernes (sacs) contenant les cartouches devaient absolument être préservées de l’humidité.
7 La ligne de feu est constituée des premier et deuxième rang faisant feu, de la ligne des fantassins.
8 Les cosaques étaient de redoutables cavaliers servant alors les Tsars. Leur origine est confuse, se partageant entre nomades, pillards et mercenaires menant des razzias (raids) libres et indépendants, fonctionnant avec leurs propres règles (élisant leurs atamans). Ils se situaient plutôt au nord de la mer noire en Ukraine et Biélorussie, s’étant ensuite regroupés dans le Don, l’Oural, puis en Sibérie, en Astrakhan, sur le fleuve Amour, sur le Danube, etc. De fait, leurs ennemis principaux étaient les Tatars (Turcs), puis donc les Français de la Grande-Armée Napoléonienne. Leur chef, que le tsar fit comte pour le remercier, était donc Matveï Platov.
9 Du fait d’une poudre fort grasse, faite d’un mélange de charbon, de salpêtre et de soufre, il fallait après chaque tir nettoyer soigneusement les fusils en les démontant puis en les séchant et en les graissant de propre.
QUELQUES ILLUSTRATIONS
N.B. Photos tirées en partie du site " Russia Beyond " qui retrace entre autres, et à mon avis de façon fort objective, l'histoire de la Russie.
Voir le site en suivant ce lien : Russia Beyond français
Carte situant les différents peuples de cosaques installés en Europe au XIXè
Cosaques munis de leur fameuse lance
Une cosaque
Le général Hetman Matveï Platov
Les petits chevaux des cosaques du Don
Voitures
" Livreur face aux loups "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Mars 2024 - 40/30 - Sanguine, fusain et pierre noire.
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
Musique et sons divers enregistrés en pleine nature
" hurlements de loups libres en pleine forêt nordique "
à écouter en lisant le poème
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Voitures
L’explosion1 pétrifia la colonne au bivouac,
Faisant bruisser l’idée que Moscou ne se brise
Dans la poudre et la fin de son Kremlin qu’on plaque
En châtiment ultime au destin sans surprise.
Chacun de se lever, de tenter de sonder
Les nuages inquiétants qui ternissent la plaine.
Chacune de serrer les toiles sous l’ondée
Quand l’orage recrache sa mauvaise haleine.
Rose et Liouba s’activent dans leur piètre abri
Qu’offre la Kibitka2 remplaçant leurs voitures
Dont les roues fracassées jonchent tant de débris
Plus au nord quand la boue les priva d’armature.
L’impitoyable sable enlisa les chariots3,
Trop nombreux en chemin, se heurtant en désordre,
Changeant en tombereaux de roulants matériaux,
Engloutissant enfin des profiteurs sans ordres.
Des milliers de soldats, de gradés, de civils
Se sont soudain changés en soldeurs de fortunes,
En forts des halles fous, en ribaudes des villes,
En cochers se fouettant d’une plainte importune.
Alors, n’y tenant plus, ils se sont délaissés
Des tableaux et des ors, des fourrures, des vases,
Des services vermeils et même des blessés4,
Gardant plutôt la gnole aux bottes qu’on évase.
Le tumulte effrayant d’un convoi chancelant
Affolant ses chevaux et brusquant ses voitures,
Jurant en italien, en prussien ruisselant5,
Prit le sinistre accent d’horribles créatures.
Mais Natacha n’a crainte en priant son pays
Aux saisons contrastées par ses vents qui murmurent
En cachant dans les bois les saintes abbayes
Et les grives rouillées6 qui se gavent de mûres...
Les soldats sont au loin, sauf l’escorte en retrait.
Se moquant de la pluie Livreur monte la garde
Et hurle quand les loups de leurs cimes s’extraient
Comme des spectres vifs sous une lune hagarde.
Pierre Barjonet
Février 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 3 « glacial », Poème 2 « Voitures » (Février 2024)
Le 19 octobre 1812, Napoléon ordonna d’abord que la retraite vers Smolensk prenne la route du Sud via Kalouga. Ce, afin d’éviter celle de l’aller, déjà dévastée et sans aucun ravitaillement possible (terre brûlée, vivres et fourrages déjà réquisitionnés, cultures et réserves ruinées...). Mais sa marche est ralentie par un incroyable encombrement de 15.000 à 40.000 voitures et chariots emplis de butin, sans parler des attaques incessantes des « partisans » formés de paysans et des cosaques menant une véritable guérilla.
Apprenant que le maréchal roi de Naples Joachim Murat (1767/1815) venait de subir le 18 octobre une défaite à la bataille de Winkovo (ou Taroutino), Napoléon voit sa marge de manœuvre se réduire. Très vite il modifiera ses plans à la suite d’une bataille difficile, bien que gagnée de peu le 24 octobre 1812 par Eugène de Beauharnais (1781/1824 - fils de Joséphine) commandant son avant-garde à Maloïaroslavets. Craignant de rencontrer le gros de l’armée russe qui lui coupe la retraite au sud, il renonce à s’enfoncer vers Kalouga et reprendra la route de l’ouest manquant de la moindre provision...
Avant de quitter Moscou, il confia le soin au maréchal Édouard Mortier (1768/1835) resté avec 10.000 hommes de faire sauter le Kremlin ainsi que l’arsenal et divers bâtiments de la forteresse. Durant trois jours, ils contraignirent des habitants à creuser des tunnels chargés de mines. Mais du fait du fort mauvais temps, la pluie éteignit nombre de mèches, sans oublier le coup de main d’une partie de la population et de l’arrivée de l’avant-garde russe de Koutousov qui venait d’apprendre le départ de Napoléon. Des explosions détruisirent cependant plusieurs tours et remparts du Kremlin ainsi qu’une partie de l’arsenal. Les Russes ont crié au miracle malgré ces destructions, car le clocher d’Yvan-le-Grand n’a pas souffert.
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Précédant la retraite, Napoléon donna l’ordre au maréchal Édouard Mortier de faire sauter le kremlin de Moscou*, mais ce fut quasiment un échec (voir ci-devant).
* On appelle Kremlin une forteresse implantée au cœur des anciennes villes russes, et donc pas seulement à Moscou, comme Novgorod, Souzdal ou Kazan ; lequel Kremlin de Moscou est le siège du pouvoir exécutif.
2 Une kibitka est une sorte de troïka traînée donc par trois chevaux, et souvent moins, à roues ou à patins selon la saison, mais à la différence de la troïka, qui est couverte.
3 Le sable des chemins accumulé par des rafales de vent avait rempli de profondes ornières de boue plus ou moins séchée, les transformant en de presque sables mouvants.
4 Napoléon avait ordonné le repli vers Smolensk des 1.500 blessés de la Grande-Armée. Il en confia la garde au maréchal Louis-Alexandre Berthier (1753/1815) escorté de 300 hommes le 17 octobre.
5La Grande-Armée se composait encore d’environ 100.000 hommes de diverses nationalités outre les Français : Prussiens, Bavarois, Italiens, Allemands et petits États rhénans, polonais, portugais, espagnols, suisses, croates, belges, néerlandais, autrichiens, hongrois...
6 La grive rouillée, du fait des taches de « rouille » qu’elle porte sur la poitrine et les flancs, est un oiseau de la famille des passereaux. Typique du sud de la Sibérie en Russie, on le désigne plutôt sous le nom de « grive de Naumann ».
QUELQUES ILLUSTRATIONS
Le maréchal Édouard Mortier
Le maréchal Louis Alexandre Berthier
La route du retour : Sud d'abord, vers Kalouga, puis finalement nord/ouest puis plein ouest, à savoir hélas, la même qu'à l'aller...
Bataille de Maloïaroslavets
(en rouge juste sous la route du sud marquée de pointillés verts,
qui ensuite reprend au nord-ouest)
Eugène de Beauharnais
Une kibitka
Une grive rouillée
Loups des Carpates
Retour
" Le fleuve pressé "
Illustration originale de Pierre Barjonet - Février 2024 - 40/30 -
Sanguine, crayon sépia, pierre noire et craie Conté
N.B. Cliquer sur la photo pour l'agrandir
(comme d'ailleurs, pour toutes les illustrations)
Musique de film jouée au piano " He's a pirate " extrait de " Pirates des Caraïbes "
à écouter en lisant le poème
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ainsi que la rubrique chronologique :
Retour
Et l’ordre fut donné, soulevant la clameur
Des soldats impatients, des chevaux, des corneilles,
Des civils empêtrés par de vagues rumeurs
Dans le fracas des roues des calèches trop vieilles...
Natacha serre Rose en queue de ce convoi.
Liouba les a rejointes menant sa voiture,
Et les femmes s’escriment donnant de la voix
Pour conserver leur file en ce flot qui sature.
Surgit un cavalier bousculant les chariots !
C’est Joseph, flamboyant, qui brûle d’impatience.
« Ses princesses » sourient des efforts impériaux
Qu’il déploie pour frayer leur chemin d’insouciance.
La foule qui s’amasse enjambe ce chaos.
Elle fuit la cité, mais obstrue sa sortie,
S’épuise bien trop tôt à subir les cahots
Qui brisent les essieux que plus rien n’amortit.
Au cœur de ce fatras, Natacha se blottit
Contre son chien Livreur1 qui grogne si quiconque
Tente de se hisser pour être mieux loti
Qu’en l’un de ces fourgons ou troïkas2 quelconques.
Joseph joue de son fouet pour ouvrir le chemin
À la troupe des femmes et des vivandières,
Des enfants d’officiers munis de parchemins,
Des cantinières rudes et des lavandières.
Un cheval affolé disloquant son harnais
Se lance sur le pont, effrayant à la ronde
La cohorte des gueux « français réincarnés »3
Qui suivent cette armée, quittant leur sol, en fronde.
La querelle à l’affût, Chasseurs et Voltigeurs4
S’amusent à moquer ces piètres équipages
Embourbés sous le poids d’un butin voyageur.
Sous des jurons furieux, la fièvre se propage !
Et la colonne bave en écume des mors
Quand les chevaux renâclent si bien qu’ils se cabrent
En bruit assourdissant comme le chant des morts
Prolongeant la vision des carrioles macabres.
Pierre Barjonet
Janvier 2024
Saga poétique romancée « Le carnet gelé » créée par Pierre BARJONET
a/c janvier 2023
Saison 3 « glacial », Poème 1 « Retour » (Janvier 2024)
Lorsque Napoléon prit conscience de l’incroyable tohu-bohu provoqué par ce raz de marée humain et hétéroclite du convoi qui prit la route du retour en ce 19 octobre 1812, il dit : « Chacune de ces voitures sauvera deux blessés et nourrira plusieurs hommes en attendant qu’on s’en débarrasse insensiblement » (cf. Mémoires du général Baron de Marbot). Il laissa faire cette sorte de « peuplade nomade » car il avait bien conscience que ces chariots, charrettes et bagages qui ne dureraient qu’un faible temps alimenteraient malgré tout, les premières semaines de la retraite. (Cf. les mémoires historiques et militaires sur la Campagne de Russie par le Comte Roman Soltyk).
NOTES DE LECTURE ET DE SITUATION HISTORIQUE
1 Le chien Livreur fut offert par Napoléon au Tambour Nicolas. C’est un « chien loup de Tchécoslovaquie », c’est-à-dire le croisement d’un berger allemand et d’une louve des Carpates. Sa robe est grise argentée avec pour Livreur des reflets roux. Voir mon poème « Livreur ».
2 La troïka est un attelage spécifiquement russe composé de trois chevaux tirant de front un chariot à roues ou une grande luge à patins de glace selon les saisons.
3 En sus des hommes de la Grande-Armée, soldats, sous-officiers et officiers, se trouvaient comme toujours avec la troupe, différents services d’administration et d’intendance composés de militaires et de civils, hommes, femmes et souvent aussi des enfants. L’on y trouvait notamment les fourriers (linge et uniformes), les armuriers, le service des postes, les secrétaires, comptables, intendants, cartographes et dessinateurs rattachés aux fourgons du petit et du grand État-major (assurant par exemple la solde et les billets de logement), les cantines roulantes avec les cantinières et les vivandières chargées de « l’ordinaire », mais aussi les bouchers, les fourgons de vivres et de provisions comme ceux liés au palais avec le nécessaire au dressage des camps et tables d’apparat, les lingères, buandières et blanchisseuses, les équipages du train (transport, voitures), les estafettes de reconnaissance et des dépêches, ceux du fourrage aux chevaux, le service de santé avec ses ambulances (hôpitaux de campagne), le génie avec ses sapeurs et ses pontonniers emportant leurs matériels et matériaux, le train d’artillerie avec l’arsenal mobile, les gendarmes, les fourgons impériaux du trésor, le train des équipements de camps et bivouacs, les fourgons de fanfare, les maréchaux-ferrants, la santé vétérinaire, les voitures d’aumôniers, les maîtres d’armes, les écuyers, les palefreniers, sans oublier... les chariots de grisettes (prostituées). On le voit, c’était là une véritable ville en déplacement.
Mais ce n’est pas tout, une horde de civils fuyant Moscou s’était infiltrée dans les convois avec également leurs voitures, fourgons et chariots. C’étaient de pauvres bougres attirés par le prestige de la France, mais aussi nombre de femmes aristocrates ou non qui s’étaient entichées de leur bel officier ou vaniteux guerrier...
Il y avait aussi beaucoup de juifs (Nombreux en Pologne et en Russie ; c’est ainsi que les témoins de l’époque les nommaient NDLR) qui s’organisaient pour commercer avec la troupe. Enfin, comme toujours en marge des armées en campagne, des pillards et des vauriens, souvent des déserteurs déguisés, s’infiltraient en quête de maraudes et larcins, notamment sur les champs de bataille (rappelez-vous les Thénardier à Waterloo, de Victor Hugo) ...
4 Les chasseurs, et les hussards sont des cavaliers relevant de la cavalerie légère ayant mission de reconnaissance et des dépêches. Les voltigeurs étaient plutôt des fantassins portés en croupe derrière des cavaliers afin de se rendre rapidement en 1re ligne, donc très acrobates d’où leur nom.
QUELQUES ILLUSTRATIONS
Sous la pluie froide transformant les chemins en boue, l'incroyable colonne ininterrompue de milliers de chariots, petites voitures, fourgons, chevaux et mulets guidés par des sortes de cochets inexpérimentés vient s'agglutiner sur la même route et se fracasser dans un désordre hétéroclite de butins, de rapines, de vêtements, de nourriture, de civils, de soldats, de femmes et d'hommes français, russes et de plusieurs nationalités...
Un chien loup de Tchécoslovaquie
Troïkas
Hussards
Chef d'escadron au 1er Régiment de Hussards (le mien... NDLR)
Chasseurs
Chasseurs de la Garde Impériale défilant aux Tuileries devant l'Empereur
(Arc de triomphe du Carrousel)
Photographies remarquables d'authentiques vétérans de la Grande-Armée
prises le 5 mai 1858 pour l'anniversaire de la mort de Napoléon 1er. Ils ont combattu auprès de leur Empereur à la bataille de Waterloo en 1815.
Ils sont dans la vieillesse, portent la médaille de Sainte-Hélène créée pour les anciens de la Grande-Armée par Napoléon III et, naturellement,
portent leur uniforme retaillé pour l'occasion.
Ces photos ont été remises
par l'Université Brown de Providence à Rhode Island (Etats-Unis).
Chasseur à cheval de la Garde Impériale (Maréchal des logis)
Chasseur
1er régiment de Hussards
7ème régiment de Hussards